CATHARSIS

 

Ma tête explose. Je ne dors plus la nuit à force de penser, à force de ressasser en vain et dans tous les sens les mêmes idées noires. Incompréhension, colère, solitude, haine, joies et peines, espoirs, arrogance, sérénité et destruction...

Essayons de cracher sur papier tout ce fiel, de réaliser la synthèse de tous ces démons majeurs de mon existence, de me laver de toutes ces humeurs malsaines qui me rongent...

Je ne suis pas fait pour vivre à cette époque. Pas fait pour cette ville, ni pour ce pays. Peut être pas non plus pour cette planète.

Je suis toujours celui qui confirme toutes les règles, celui qui va toujours à contre-courant, qui ne fait pas comme les autres: l'exception. Depuis le début, c'est la même histoire, le même décalage avec la réalité, le même sentiment poisseux d'incompréhension généralisée, celui qui ruine toute tentative de communication avec des êtres dits normaux, celui qui isole à jamais et pour toujours un pauvre cerveau isolé, celui qui forge à grands coups de mépris les remparts d'une inexpugnable forteresse au creux de laquelle se morfond une âme tourmentée, torturée par un égo surdimensionné qui l'étouffe. Je suis né adulte, pour mon malheur.

Le terrain de jeu mental que je me suis construit est maintenant tellement vaste que je m'y perds sans arrêt. Mes pensées y sont éparpillées dans tous les recoins, chaotiques, dérangées, intemporelles, vaines. L'espace est à la mesure de mon ambition. J'embrasse tout du regard, j'ai des vues sur l'univers entier. Mon sixième sens me hurle à pleins poumons des vérités que je devine. Je vois les choses, je suis lucide. Le manque de lucidité de mon entourage est consternant. Consternant. Les gens autour de moi, pénibles, sont incrustés dans des sphères bien éloignées de celles où j'évolue habituellement. Ils considèrent bien entendu que leur majorité imbécile légitime leurs actes et leurs pensées. Stupides, ils sont stupides! Incapables de penser par eux mêmes. Moutons, ils suivent le troupeau, en sont conscients et en redemandent. Je n'y crois pas, je refuse de croire à tant de stupidité crasse.

Dans mon palmarès personnel de la bêtise humaine, les habitués des hauteurs sont toujours les mêmes: le non respect de la vie... la religion... le foot... Entre autres.

I GOT NO IDOLS! Je suis mon propre maître et mon propre esclave. Si vous avez besoin d'un guide, vous êtes morts - qu'il s'appelle Dieu, Cantona, Kurt Cobain, ou les trois à la fois. C'est la même chose. Incapables de penser par eux mêmes. Il faut quelqu'un pour montrer la voie, parce que l'inconnu fait toujours peur. Il faut quelqu'un pour donner des solutions, toutes faites, parce que c'est plus facile et ça libère l'esprit. Il faut quelqu'un pour jouer à la fois le rôle du bouc émissaire et du bourreau, parce qu'on ne veut être ni l'un ni l'autre. Il faut quelqu'un parce qu'on refuse d'être seul. Au diable! Les idoles sont faites pour être copiées, dépassées et piétinées, pour faire bouger les choses, pour faire avancer un peu l'histoire de la race humaine, pas pour pétrifier l'esprit, la parole et les actes dans une contemplation béate et satisfaite de son propre nombril. Les élèves doivent dépasser les maîtres! L'école ne sert qu'à ça. Ouvrez vos yeux, pour une fois! Soyez libres. Libres d'agir selon votre propre volonté. La volonté! La volonté et la jalousie: les deux plus grands moteurs dont vous disposez. Entretenez les, utilisez les, faites les tourner, chauffer, exploser!

Je n'ai pas envie d'avoir une vie inutile. Une de plus. Autour de moi, je ne vois que ça. Des gens qui ne font rien, qui ne servent à rien. Métro, boulot, dodo, zéro. Des gens sans but, sans projets, sans vie. J'ai besoin de passion pour vivre! Et ces gens là n'en ont pas, n'en ont jamais eue et n'en auront jamais. "Les extrêmes, ça n'est jamais bon", qu'ils me disent. Foutaises! Si c'est tout ce que vous avez trouvé pour légitimer votre médiocrité, passez votre chemin! Je ne vis que dans les extrêmes. Je suis incapable de faire les choses à moitié. Je suis un circuit fonctionnant en logique TTL: tout ou rien. Pas de demie mesure, et j'ai horreur des concessions. Dans mes cauchemars quotidiens, je vois l'hypocrisie sociale, fourbe et dévastatrice, dicter ses commandements à des crétins aveugles qui sont autant de cannon-fodder. Le seul but de leur vie, c'est une petite maison bien sage et proprette, dans un joli quartier résidentiel, avec une jolie petite épouse et deux jolis petits enfants. Une jolie petite famille comme il en existe tant: inutile et futile, une itération de plus dans la boucle de la sélection naturelle. Procréez, procréez, vous ne savez faire que ça de toute manière. Quant à tout ce que vous n'avez jamais tenté de faire dans votre vie, tout ce que vous regrettez, vous pourrez toujours le reporter sur vos fils, les forcer à faire du foot, des études de droit ou même de la flûte à bec, comme autant de fantasmes inassouvis qui réjouiront votre vie tout en pourrissant la leur. Jeff, Jeff, que disais-tu? C'est toujours facile d'envoyer les autres au casse-pipe à sa place. Et pour survivre à vous-mêmes, fainéants et fiers de l'être, vous en enverrez beaucoup dans le mur. Je vous déteste cordialement, messieurs les cyber-beaufs, vous qui vous plaignez à longueur de journée, pour tout et (surtout) n'importe quoi. Les gens se plaignent parce qu'il pleut, parce qu'il fait trop froid, parce qu'il fait trop chaud, parce que le métro est bondé, parce qu'il y a des bouchons sur la route des vacances, la route du Soleil et de l'indispensable bronzage intégral sans lequel ces vacances sont obligatoirement "gâchées", ils se plaignent parce que les impôts sont trop élevés, parce que la politique est pourrie, parce qu'il y a trop de chômage, parce qu'ils ne sont pas assez payés, parce qu'il y a la guerre et la famine dans le monde, parce que la planète devient une poubelle. Ils se plaignent aussi quand l'OM a perdu, ou quand le PSG a gagné, quand le programme TV ne leur plaît pas, quand ils doivent faire la queue un quart d'heure à la poste, quand le prix du tabac augmente, quand le vent les décoiffe. Ils se plaignent parce que l'insécurité est partout, parce que les gens se font agresser dans la rue, parce que les SDF envahissent le métro, parce que le métro est en grève et qu'il faut, horreur, marcher jusqu'à République, parce que le SIDA s'en prend à n'importe qui. Assez! Assez de jérémiades! Vous ne savez même pas ce que souffrir veut dire. Si vous n'aimez pas vivre, n'en dégoûtez pas les autres! Je préfère mourir d'avoir trop baisé en l'an 2000 que torturé, du plomb fondu dans les veines en l'an 1000. Vous êtes petits, mesquins, inconscients et stupides, messieurs les cyber-beaufs! L'Homme n'est encore qu'un prototype, un ersatz de ce qu'il doit devenir au final. Relisez De Chardin! Contrairement à ce que vous croyez, pessimistes de tout poil, la Vie est belle. Et elle le devient de plus en plus.

Créez! Vous comprendrez. Le processus de création est le seul qui me maintienne en vie. C'est mon énergie et ma force. J'ai besoin de créer, de faire quelque chose, de produire quelque chose. Que ce soit un texte, un dessin ou programme, peu importe, c'est ainsi que fonctionne l'artiste: il ne vit qu'à travers ses créations. Il survit à lui même grâce à elles, grâce à ces augmentations immortelles de son être. Survivre à soi même. Est-ce le but, finalement? La peur de la mort est-elle le seul moteur véritable du processus? La peur du néant... Comme sur les cartes d'identité. "Signes particuliers: néant."...désolé, vous êtes officiellement reconnu comme n'étant qu'un pion débile et absolument inutile! Merci les gars, mais je ne peux pas me contenter de ça, je ne peux pas l'accepter sans combattre! Jamais! Je refuse d'être comme vous, moutons suicidaires et aveugles à qui on fait croire n'importe quoi. Je vous plains, vous, bigots bigleux, qui n'aspirez qu'au Paradis! Le Paradis est ici et maintenant, pour ceux qui savent voir avec la loupe du savoir. Flagellez-vous le cortex! Relevez la tête! Visez haut! L'ambition a du bon. Touchez à tout! Ouvrez vos portes! Philosophes, faites des maths! Programmeurs, peignez! Cuisiniers, philosophez! Révélation: vous pouvez tout faire.

Gâcher sa vie à résoudre des problèmes qui n'en sont pas? Non merci. Un peu de tolérance, pour une fois.

Jeff Buckley est mort hier.

 

Pierre Terdiman

 

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