DERAPAGE

 

Les rayons du soleil pénétraient dans l'appartement par la fenêtre grande ouverte. La fraîcheur vivifiante du petit matin s'engouffrait à l'intérieur, délivrant des bras de Morphée les deux amants encore enlacés. Une légère brise en provenance du large faisait osciller les pans des rideaux qu'Evan fixait du regard, sans un mouvement, hypnotisé par le ballet silencieux ainsi orchestré. Ondulations. Flux. Reflux. Un rideau.. ou une chevelure... De longs cheveux soyeux flottants au gré du vent. Evan ferma les yeux, déposa un baiser sur l'épaule de Rebecka, laissa ses pensées se disperser.

Souvenirs... souvenir d'une plage d'opalines sur laquelle ils s'étaient rencontrés...souvenir de sensations partagées, pour les mêmes musiques... mêmes saveurs... mêmes émotions... souvenir d'étreintes passionnées au coucher du soleil, dans la lumière rouge d'un ciel de feu... une fragrance... souvenirs d'odeurs charnelles, un goût de sel, une mélopée lancinante... des corps qui suent et qui se heurtent... explosions des sens... déchirures... des pensées perdues, noyées dans l'euphorie, puis sauvées des eaux de l'oubli...

Elle est parfaite pensa Evan, oui...parfaite.

Il bougea, déplaça délicatement son corps latéralement, s'assit sur le rebord du lit. Il resta immobile un moment, savourant les gazouillis des oiseaux qui lui parvenaient de l'extérieur. Il embrassa Rebecka sur le front, entre deux mèches blondes, puis se leva. Il fit quelques pas, s'étira, fit jouer ses muscles, et se dirigea vers la cuisine.

Il en émergea quelques instants plus tard avec un plateau bien rempli. Les dernières bribes de sommeil dans lesquelles errait Rebecka s'effilochèrent grâce à l'odeur du café qui s'installait dans la chambre. Elle ouvrit les yeux, sourit à Evan. Il posa son plateau devant elle, s'assit sur le lit, caressa la joue de Rebecka, plongeant son regard dans de grands yeux bleus azurés. De grands yeux tristes.

- Rebecka, dit Evan. Je t'aime. Veux-tu m'épouser?

Les yeux de Rebecka s'ouvrirent un peu plus, imperceptiblement, sous l'effet de la surprise. Son visage était un masque figé dans la stupeur.

Puis deux grosses larmes se mirent à couler sur ses joues. On pouvait lire dans ses yeux le combat qui faisait rage en elle.

- Evan, oh Evan... Je ne peux pas. C'est impossible!

Les larmes ruisselaient sur ses joues, son visage était déformé par une peur terrible qui nouait ses entrailles.

- Pourquoi? Pourquoi Rebecka? se lamentait Evan. Je ne comprends pas. Après ce que nous avons vécu... Que veux-tu dire? Tu ne peux pas ou tu ne veux pas?

Rebecka répondit d'une voix pitoyable:

- Je... Je suis bugguée..

Evan poussa un cri et pâlit.

- C'est imposs...

Laissant sa phrase en suspens, il se leva lentement, hésita une seconde, puis se dirigea vers le téléphone. Il composa un numéro, puis d'une voix monocorde:

- Allô? Le recyclage? J'ai une unité illicite pour vous, ici. Comment? Une imperfection, c'est cela. Oui je vous attends. Merci.

Toujours assise sur le lit, Rebecka, la tête entre les mains, éclata en sanglots.

 

 

Pierre Terdiman

 

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